Dr Yves Rigal, SOS 77 Nord
10 ans de SOS Médecins
Le motif d’appel était assorti de guillemets : « Dit : “je baigne dans mon sang”», comme si des mots avaient manqué pour décrire la réalité autrement. C’était dans une pauvre cité HLM de banlieue. Quand ce garçon bedonnant m’ouvrit, haletant, les jambes emmaillotées dans des lambeaux de draps blancs dégoulinant de sang, je ne vis que ces flaques rouges qui inondaient l’entrée.
« Oh… faites attention ! », me prévint-il, gêné. Soulagé, il me remercia de m’être déplacé. Le malheureux. Il attendait depuis des heures. Il n’avait su trouver, pour s’expliquer, que des mots simples. Et on ne l’avait pas pris au sérieux.
« Le malheureux attendait depuis des heures »
Je le fis allonger sur le lit, comprimai cette varice qui saignait, arrêtai l’hémorragie, le rassurai : c’était impressionnant, mais il n’était pas en danger.
Étendu au milieu de cette chambre, son corps gisait sur une nappe rouge qui, imprégnée dans le matelas, s’étendait sur le sol. Non, il n’aurait pas pu décrire la réalité plus justement. Touché, je m’appliquai à redonner une dignité à cet homme. Dans la salle de bains, le sang avait rejailli sur la faïence du lavabo et du bidet. Je fis des allers-retours, épongeai ce que je pouvais éponger, revins avec un gant et du savon, pris le temps. Et puis, il me proposa un pourboire. Me remercia avec ses mots simples, dont la sincérité me reste en mémoire.
« Des mots dont la sincérité me reste en mémoire »