Dr Bruno Chaumont, Saint-Malo
39 ans de SOS Médecins
Une petite lampe s’agite dans la nuit noire et m’appelle à la suivre. Il est 6 heures du matin, c’est l’hiver, j’exerce à Paris à cette époque. Je suis attendu sur une péniche de bord de Seine. Une urticaire géante. La silhouette se presse, je la perds de vue, descends à tâtons l’escalier en colimaçon, puis sur le quai avance d’un pas… et plonge, directement, dans une barge de vase ! Un magma de plusieurs mètres dont je remonte avec peine, avant de me renverser pâteux sur le pont.
En face de moi, la patiente rouge écrevisse en sous-vêtements blancs pousse un cri d’effroi : « Il n’est pas question que ce monsieur entre dans ma péniche dans cet état ! » Dans un miroir, je m’aperçois, une immense coulée de chocolat, compacte, au sein de laquelle apparaissent deux ronds blancs : mes yeux. « Quand même, chérie, on ne va pas laisser le docteur comme ça... » Ils me tendent une bassine pour mes vêtements et m’invitent dans leur salle de bain. J’y rince aussi mes chèques et mes billets et les laisse sécher sur un fil avec des pinces à linge.
« Dans un miroir, je m’aperçois, une immense coulée de chocolat »
Me revoilà pieds nus, une serviette nouée autour de la taille. J’ouvre ma mallette vaseuse, y déniche une seringue dans son emballage plastique : « Ne vous inquiétez pas, c’est étanche. » Dans l’urgence, ils me font confiance et la femme ira rapidement mieux. Et lorsque j’arrivai chez moi après plusieurs heures d’embouteillages : « Mes chèques, mes billets ! », départ en sens inverse. Je les retrouve pendus sur le fil à linge, mes chèques entièrement déteints et mes billets comme des parchemins.
Je regarde ma montre : 11 heures. Bien trop tard pour aller retrouver mes collègues et manger un morceau avec eux comme après chaque nuit. Et le soir même, alors que j’entame une nouvelle garde, un ami m’apostrophe : « Et bien ? On ne t’a pas vu ce matin. On t’a attendu mais monsieur est parti se coucher sans rien dire ! »
« Monsieur est parti se coucher sans rien dire »