Dr Fabrice Bodarwe, Paris
20 ans de SOS Médecins
Trois jours. Trois jours qu’elle tournait en rond autour de la table de la salle à manger de ses parents, sans dormir, sans boire, sans manger, sans même uriner. Trois jours qu’elle ne tournait pas bien rond. « Oh ! ça lui arrive souvent, m’explique le père. Quand elle va trop bien, elle arrête ses médicaments… Après, on la récupère chez nous et elle se met à tourner. » Elle a le regard noyé, les bras pendus le long des cuisses et le pas régulier d’un automate qui, inlassablement, gravite dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et tasse la moquette au point d’y imprimer son trajet. Je m’assieds avec eux sur le canapé.
« Après, on la récupère chez nous et elle se met à tourner »
Le père : « Oh… elle, elle se lasse pas. » « Et puis, vous gênez pas à essayer de la réveiller, Docteur, elle est partie. » Son psychiatre avait trouvé une place pour elle aujourd’hui à l’hôpital. « Alors qu’on vous explique parce qu’avec ma femme, on a l’habitude de faire comme ça : au prochain tour, je l’attrape, je la mets à plat ventre sur le canapé ; après, ma femme lui baisse son pantalon et, vous, vous n’avez plus qu’à lui faire la piqûre que le psychiatre lui a prescrit. »
« On y va ? » Il la plaque. Je la pique. « C’est bon Docteur ? Alors, maintenant lâchez tout ! » Comme un enfant qu’on remet sur un tourniquet, et du même pas absent, elle repart. « Maintenant, vous pouvez appeler l’ambulance, Docteur ; le temps qu’ils arrivent, en général, ça tombe pile. » « En attendant, on vous sert un café ? » « Oh ? Euh… volontiers. » Et nous échangeons le temps que l’allure faiblisse, devinant peu à peu ses paupières mollir, la bouche s’entre-ouvrir, baver, puis le pas ralentir, la jambe fléchir, flancher, elle s’agenouiller, bâiller, marcher sur les genoux pour finir, pareille à une toupie au bout de son élan, par s’évanouir. On venait d’entendre frapper à la porte. C’était les ambulanciers.
« Le temps qu’ils arrivent, en général ça tombe pile »